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Insécurité à Nîmes : impasse ou issues ?

 

Y a-t-il deux villes à Nîmes ? L’une, qui défraie la chronique dans la presse, celle « où retentissent des tirs d’arme à feu » (Le Figaro, 9 février 2024). Celle où plane « l’ombre de la DZ Mafia marseillaise » (Le Monde, 18 novembre 2023).

Et l’autre, qui « avec la Contemporaine, s’offre une nouvelle jeunesse » (Le Monde, 11 avril 2024). Celle qui s’inscrit enfin « dans « l’arc méditerranéen », avec Montpellier, Avignon ou Arles pour la culture ?  (Libération, 14 avril) ?

Y aurait-il alors d’un côté une ville dynamique, rayonnante, et de l’autre des quartiers de grands ensembles marqués par la violence au cours des dernières années ?

Pour mieux comprendre, nous avons demandé à Mme Craintive et à M. Touvamieux, de nous faire part de leur expérience. L’une habite un quartier populaire, l’autre à l’écart du tissu dense, dans les garrigues.

Sont-ils confrontés de la même manière aux incivilités, aux vols, aux agressions, au trafic de drogue, voire à l’insécurité routière … Et comment les vivent-ils ? Se sentent-ils protégés par les pouvoirs publics ?

Le sujet est sensible. C’est pourquoi nous avons fait appel à un troisième personnage, L’Observateur Sceptique, afin de dépasser les réflexes spontanés de sécurité ou d’insécurité, d’examiner des chiffres parfois contradictoires, de prendre un peu de recul avec l’actualité médiatisée.

Mme Craintive

Quand on habite à Pissevin, au Chemin-bas d'Avignon ou au Mas-de-Mingue, on vit chaque jour avec la peur au ventre, depuis la mort du petit Fayed en août 2023, et les fusillades en plein jour entre bandes rivales dans la période récente. Hélas, c’est la poursuite de faits divers qui durent depuis au moins 3 ans dans nos grands ensembles Souvenez-vous de cet étudiant en médecine blessé par une balle perdue en 2022, et même de ce jeune homme, inconnu de la justice, tué par balle en 2021. On n’en peut plus. Notre belle ville est devenue une plaque tournante du trafic de drogue, un terrain de jeu pour les gangs marseillais.

Combien de personnes âgées ne mettent plus le nez dehors, combien d’entre nous n’osent plus sortir après 14h de crainte de tomber sur des règlements de compte entre dealers, combien d’enfants ont peur sur le chemin de l’école ? Combien de familles souhaiteraient déménager mais ne le peuvent pas, ne serait-ce qu’en raison de leurs revenus trop faibles ? On n’a jamais vu ça ! Une poignée de jeunes du quartier tourne mal, mais tout le monde en subit les conséquences. Les délinquants sont de plus en plus jeunes, beaucoup sont recrutés par les trafiquants de drogue. Où est le respect, où est l’autorité !

M. Touvamieux :

Je comprends vos inquiétudes, car les chiffres sont alarmants : en 2022, les coups et blessures ainsi que les violences sexuelles ont augmenté de près de 20%. Les cambriolages, les vols à la tire, les agressions ne sont pas l’apanage des grands ensembles. Dans le quartier tranquille du Carreau-de-Lanes, ma voisine s’est fait arracher son sac devant le portail de son domicile, alors qu’elle ouvrait sa boîte à lettres. Ajoutons aussi que les excès de vitesse sont un fléau, comme les incivilités des conducteurs, sans parler des rodéos urbains. Nîmes est une ville accidentogène, dangereuse pour les piétons, les deux-roues, les automobilistes, bref pour tout le monde.

Mais convenez-en, les pouvoirs publics ont pris la mesure de l’enjeu. Le Contrat de sécurité intégrée (CSI), signé par la Ville avec l’État le 25 avril dernier, prévoit 15 policiers nationaux supplémentaires à Nîmes d’ici 2026, la création d’une brigade des transports, forte de 12 effectifs. Un Groupe interministériel de recherches (GIR) luttera contre le blanchiment d’argent lié au trafic de stupéfiants dans le Gard. Trois délégués du procureur et trois conciliateurs de justice seront affectés à notre ville …

Ajoutons que 30 policiers municipaux viendront renforcer l’effectif actuel (169 agents). Si l’on ajoute à cela tout le travail d’éducation et de prévention réalisé par les associations, on peut espérer juguler cette montée de la violence, surtout chez les plus jeunes. Et répondre au sentiment d’insécurité de nos concitoyens.

L’Observateur sceptique :

Remarquons toutefois que la délinquance des jeunes est un phénomène évolutif. Est-elle plus importante aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans ? Souvenons-nous que le Chemin-bas d'Avignon était volontiers qualifié de « Petit Chicago » dans les années 1960. Les adolescents, nombreux et visibles, y étaient vus comme des « Blousons noirs », des « James Dean locaux en scooter, des “ragazzi” ».

Si on a raison de s’indigner et de s’inquiéter, il faut raison garder. Globalement, malgré les homicides récents qui marquent l’opinion, la violence est plutôt à la baisse dans notre société, comme parmi les jeunes. Il y a parfois des pointes, liées au terrorisme ou aux règlements de compte entre organisations criminelles, comme ici …  Ou encore à de nouvelles formes de délinquance comme le harcèlement sur Internet, le harcèlement scolaire. La délinquance des jeunes n’augmente pas depuis 30 ou 40 ans, mais elle est plus fréquente chez les 15-25 ans (Sébastien Roché, sociologue).

De plus, notre sensibilité à la violence évolue.  Elle n’est plus la même qu’au début des années 2000. C’est le cas pour les violences policières, les violences faites aux femmes, aux enfants, les féminicides … Par exemple, l’augmentation des violences intrafamiliales à Nîmes relève plus de la libération de la parole des femmes, qui déposent plainte, que d’une augmentation des faits eux-mêmes.

Mme Craintive :

J’entends bien vos arguments, mais autour de moi les gens vivent l’insécurité et s’intéressent peu aux statistiques. J’admire le courage de ces femmes qui vont chercher leurs enfants à la sortie du collège « même s'ils ont honte », me disent-elles, qui sont obligées de surveiller chaque soir qu’ils rentrent bien de l'école.

L’exaspération monte au sein de la population des quartiers populaires, et même ailleurs. On nous parle beaucoup des actions de prévention, mais croyez-vous qu’elles soient efficaces ? Quand les bus sont caillassés par des voyous, le quartier n’est plus desservi, ce qui fait que les habitants sont isolés, et doivent jongler pour trouver des moyens de se déplacer pour le travail, les courses, les études …

Un souci de plus pour nous qui sommes déjà dépourvus de services publics.

M. Touvamieux :

Grâce aux mesures mises en place, comme le Conseil Local de Sécurité et de Prévention de la Délinquance (CLSPD), et malgré les crimes liés au trafic de drogue, la délinquance, si elle est préoccupante, n'augmente pas aussi vite qu'au niveau national.

Ne vous en déplaise, les chiffres montrent que la légère hausse des crimes et délits en 2023 est surtout due aux violences intrafamiliales et aux cambriolages. Une partie de la délinquance violente est alimentée par les trafics de stupéfiants en augmentation constante.

En plus des interventions de la Ville et de l’État, la sécurité est aussi une affaire de citoyenneté. Les actions quotidiennes des associations d’éducation populaire, des clubs sportifs ou culturels, le soutien scolaire, la médiation, les initiatives telles que les « Voisins vigilants » … sont autant d’atouts pour faire reculer l’insécurité et le sentiment d’insécurité.

L’observateur sceptique :

À propos de la géographie de la délinquance, j’observe que si le centre-ville est relativement préservé, ce sont les quartiers de grands ensembles à l’est et à l’ouest qui sont le plus touchés. Est-ce si étonnant ? Ce sont aussi les quartiers les plus pauvres : chômage, manque de qualification, bas salaires, fort taux de familles monoparentales, difficultés d’intégration scolaire et d’accès aux loisirs … C’est à Pissevin que l’on ferme la Médiathèque Marc Bernard !

Ce n’est pas seulement en augmentant les effectifs de police que l’on résoudra la question. Observons qu’il y a un effet du milieu socio-économique pour la délinquance juvénile. Si vous êtes issu d’une famille défavorisée et que vous habitez dans un quartier « sensible », vous avez des risques d’être entraîné dans la délinquance. Si vous grandissez dans un quartier tranquille avec des parents aisés, vous êtes peu exposés à ces phénomènes. C’est là-dessus qu’il faut travailler (Sébastien Roché).

Enfin, si l’insécurité est aujourd’hui essentiellement liée au trafic de stupéfiants, au narcotrafic de dimension internationale, ne faut-il pas poser la question de la légalisation du cannabis, qui permettrait de réduire une partie du marché souterrain et de ses conséquences criminelles ?

Sans conclure :

Vous avez une expérience et/ou une opinion sur les questions de sécurité/insécurité dans notre ville. Faites-nous en part. Le débat citoyen doit s’élargir.

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Vous pouvez aussi lire quelques contributions réunies pour préparer notre dernière lettre :

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