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Quel avenir pour les corridas et ferias ?

Les ferias et les corridas constituent aujourd’hui une signature internationale de la ville de Nîmes. Mais les oppositions que suscitent les corridas et l’évolution du contenu des ferias nous invitent à nous interroger sur leur devenir. Peut-on imaginer des ferias sans corridas ? Quels sont les changements souhaitables pour redonner un second souffle aux ferias ?

Pour :

Enraciné dans une tradition qui se perd dans la nuit des temps, le combat de l’homme contre le toro, la corrida est un rendez-vous ponctuel avec la mort, et le toro restera le seul animal dont la vie soit la conséquence de sa propre mort. Les autres ne vivent que pour mourir, leur vie étant aussi sordide que leur mort. La fin de la corrida marquerait à tout jamais la fin du plus bel animal du monde : « sa silhouette muselée, noire épiphanie à l’ombre des oliviers ». Une grande émotion émane de ce monde-là. On parle de la mort, celle du toro, celle du torero. On y parle du courage, de la peur, du destin.  C’est un lieu où les mots prennent du sens. Un lieu unique.

Contre :

La véritable tradition nîmoise ne comportait pas de corridas. Si les premières corridas ont eu lieu en 1853, il a fallu attendre 1951 et la modification de la loi Grammont, protectrice des animaux, pour reconnaitre les corridas lorsque la « tradition ininterrompue peut être invoquée ».

Par ailleurs, pourquoi une tradition devrait-elle justifier un droit ? Dans ce cas, le patriarcat et le droit d’ainesse auraient dû être maintenus. Lorsqu’une tradition n’est plus en accord avec les valeurs d’une société, il est impératif de la ranger dans les livres d’histoire.

Pour :

La Féria n'existerait pas sans la corrida et à Nîmes. Simon Casas, maître de cérémonie de la première arène Française et l'une des cinq plus importantes du monde, se bat depuis toujours pour la reconnaissance de la tauromachie comme un spectacle culturel, un art. Francis Wolff le rejoint en affirmant : « Ce jour-là, je compris que la corrida n’était pas seulement une fête tragique, mais un art total, comme l’opéra justement, mais un art doté d’une dimension supplémentaire : la dimension de la réalité. » (Appel de Séville 2011)

 Contre :

La corrida n’est pas un art. Comme le dit Philippe Val : « la corrida deviendra un art sublime le jour où le taureau se relèvera pour saluer à la fin, touchera son cachet et ira dîner au restaurant avec ses amis. » Pour Marc Fabre (Les mythes tauromachiques -Nouvelles presses du Languedoc-2007) « L’univers mental taurin repose sur le déni.(…) à toutes les étapes de l’agonie de l’animal, tout un jargon poético-technique occulte cette réalité très métallurgique qu’il subit. » Que révèle de nous ce plaisir de jouir de ce rituel sanglant de souffrance et de mise à mort ? Sans doute nos penchants primitifs les moins glorieux.

Pour :

La corrida ne se déroule qu’au moment de fêtes votives ou religieuses. Elle est le signe, dans un lieu circonscrit, de la fête du peuple assemblé.

A Nîmes, hors des arènes et grâce à la tauromachie, la Feria est une grande fête populaire qui rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes deux fois par an, pour la Pentecôte et les Vendanges. La Feria est devenue la deuxième fête d’Europe,  après celle de Munich. Elle coûte peu à la ville (hormis sécurité et nettoyage) et rapporte beaucoup : le panier moyen par jour et par personne à la feria de Pentecôte était de 53 € en 2019 selon une étude de la CCI.

Dans une ville d'ordinaire discrète, subitement transformée en brasier, les contraires se mêlent, permettant le « rassemblement des âmes » dont parle Simon Casas, tels fête et business : fête, commerce et tauromachie mettent la ville en fusion.

Contre :

Si la corrida est un point de départ, une référence culturelle, elle n’est plus le cœur de la fête. Les aficionados ne représentent qu’une minorité des participants aux ferias, autour de 13%. (Ce que la fête dit de la ville - L’exemple de la Feria de Nîmes, 1952-2006 Catherine Bernié-Boissard).

Dans les années 1950, la fête était un facteur de cohésion et d’identité collective. Aujourd’hui la feria tend à devenir une addition de « fiestas disparates et cloisonnées ». Certains lieux deviennent sélectifs. Les thèmes des bodégas sont hétéroclites. Pour de nombreux nîmois la féria est devenue un prétexte à des abus : bruit, saletés, beuverie, dégradations. Elle ne semble plus portée par l’ensemble de la ville.

Sans conclure :

Si la feria fait toujours corps dans la ville, en revanche elle ne fait plus corps avec la ville. Les débats auxquels nous assistons nous montrent que l'épineux problème de « redonner du sens » à la Feria est particulièrement complexe.

Comment faut-il transformer cette fête sans perdre les acquis à préserver ?

Peut-on imaginer une fête populaire, qui ne se fonde plus sur la corrida mais plutôt sur les cultures espagnole et camarguaise ? Ce serait sans doute le moyen de rendre viable et pérenne une fête emblématique, si un jour à Nîmes, comme en Catalogne, les corridas devaient disparaitre.